LA PETITE BÊTE IMMONDE,  IMMONDE

Connaissez-vous la romancière britannique (d’origine bangladeshi) Monica Ali ? Lisez donc « En cuisine » (Belfond). Vous me remercierez. Le roman dresse un portrait de l’Angleterre d’aujourd’hui, vue depuis la cuisine très cosmopolite d’un grand restaurant de Londres. Une Angleterre qui ressemble à un waterzooi indigeste mitonné par Margaret Thatcher, recuit par Tony Blair, qu’un David Cameron doit servir, les fesses serrées, à un représentant du guide Michelin.

C’est de ce roman que j’extrais ces répliques d’un personnage, parlementaire travailliste.

« Notre identité britannique est pareille à notre économie, déréglementée à l’extrême. C’est un vaste marché d’idées et de cultures, dont aucune ne l’emporte sur les autres. » Et encore : « Bien sûr, le sentiment d’appartenance à une nation se fonde en partie sur le constat : « Nous sommes  différents d’eux. » Mais, voyez-vous, ce qui est intéressant c’est la façon dont l’idée de citoyenneté britannique est devenue aujourd’hui synonyme d’identité neutre, dénuée de valeurs – une non-identité si vous voulez. Un vide. »

Coïncidence : je lisais le beau roman de M. Ali au moment où paraissait le dernier sondage de La Libre Belgique et de la RTBF sur les intentions de vote en Flandre. En me disant qu’une fois de plus, la réalité dépassait la fiction.

Plus de 50 % des voix se porteraient sur la N-VA et le Vlaams Blok, les deux partis qui militent pour enfermer la Flandre derrière de hautes murailles protectrices de leur soi-disant identité. Avec à la porte, une plaque : « entrée réservée aux vrais Flamands ». Pour séduire tous les petits oisillons de souche que la mondialisation et la crise ont plongés dans le désarroi.

La petite bête immonde, immonde s’est toujours nourrie du chaos. Les Grecs croient malins de se faire peur en élisant les descendants de ceux qui ont massacré leurs parents et ruiné leur pays. Après les Hollandais, Danois ou Autrichiens, sans parler de la récente vague bleu marine censée nettoyer la France de ses mauvais politiciens.

La citoyenneté « flamande » proposée par de Wever et Dewinter est aussi vide de sens, de projet et d’avenir que les tremolos bleu, blanc rouge de la famille Le Penn.

Cependant, ils sont les seuls à répondre à l’interrogation identitaire des électeurs mais par un modèle de pensée unique, caricatural (comme le montre le guide du Flamand idéal concocté par G. Bourgeois). Tout affairés à colmater les brèches creusées par la crise économique, les autres partis belges ont oublié que pour faire face à la mutation du monde, les citoyens n’ont pas seulement besoin d’une réponse économique et sociale. Ils rêvent aussi de modèles culturels et de clés pour déverrouiller l’opacité du nouveau monde.

 

 

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