Consignes de sécurité

Qui pourrait supporter le voyage en avion sans ce moment de grâce intitulé « Consignes de sécurité » ?
Après les queues insupportables à l’entrée de l’aéroport, à l’enregistrement, au contrôle de police, à la fouille des bagages et au terminal, puis l’attente d’un départ sans cesse différé et l’angoissante seconde du décollage (ce gros patapouf ne réussira jamais à s’arracher à la pesanteur, jamais, c’est tout simplement impossible) qui vous fait vieillir de dix ans, l’aéronef semble s’immobiliser à tout jamais entre deux cumulus. C’est alors, au moment où l’on s’est résigné à terminer ses jours là-haut entre rien et nulle part (un là-haut qui ne ressemble ni de près ni de loin au paradis promis) que surgit l’hôtesse, un sourire nonchalant aux lèvres tandis qu’une voix métallique (E.T. ?) surgie d’un autre univers commence à ânonner les consignes de sécurité. Dès que résonne le message, l’hôtesse se lance dans un étrange ballet. Des gestes burlesques échappées d’un vieux film muet, exagérés et ridicules et des instructions absurdes qui ne font pourtant rire personne.
Car enfin, à quoi bon expliquer aux futurs naufragés la méthode pour gonfler la petite bouée de sauvetage alors que le vol vous mène de Bruxelles à Rome à travers les Alpes ? L’auteur de ces consignes a-t-il pensé qu’un pilote particulièrement adroit se poserait, en cas de pépin, sur un lac de montagne miraculeusement alimenté par la fonte des neiges ?
Pourquoi ne pas apprendre plutôt aux passagers comment décapsuler le bouchon du tonnelet de rhum pendant au cou du Saint-Bernard qui, c’est plus probable, s’approchera de nous après le crash ?
La seule raison de la séquence de la bouée semble être celle-ci : elle fait partie de la chorégraphie. Et l’enchaînement des scènes d’une œuvre d’art, ça ne s’explique pas.
Ceux qui, blasés de l’avoir trop vue, se plongent dans leur journal financier à l’arrivée de l’hôtesse ont tort. Grand tort. La cérémonie des consignes de sécurité ne s’exécute jamais de la même façon. Orientale, gracieuse, mécanique, érotique, déjantée ou rigolote, je ne l’ai jamais vue deux fois semblable. Certaines hôtesses se piquent même de modifier leur numéro entre l’aller et le retour du même vol. De vraies artistes, que j’ai souvent eu la tentation de coter à la façon du Michelin : une bouée, deux bouées, trois bouées.
Dire que le président Bush bénéficiera pour son voyage à Bruxelles d’une hôtesse rien que pour lui. A qui il aura le droit, pendant les six heures du voyage, de faire répéter autant de fois qu’il le désire la démonstration des consignes de sécurité, en lui disant simplement, comme le lui a appris son papa : « Hey, miss ! Read on my lips… »

Alain Berenboom

Février 2004

Paru dans le journal LE SOIR