MOUSETRAP

Dans une interview demeurée (tristement) célèbre et publié par le quotidien français Libération, Yves Leterme se demandait ce que les Belges avaient encore en commun ? « Le Roi, l’équipe de foot et certaines bières », répondait-il. C’était il y a tout juste cinq ans. Un siècle en politique belge.
Songez qu’à l’époque celui qui présidait alors le gouvernement flamand affirmait : « La nécessité d’avoir un gouvernement fédéral passe au second plan par rapport aux intérêts de la Flandre. » Et que Laurette Onkelinx le qualifiait d’« homme dangereux »
Les transferts de compétences et le règlement de l’abcès B.H.V. qu’il tenta en vain de négocier quand il fut désigné formateur par le roi en été 2007, avec Bart De Wever dans le rôle du souffleur de méchantes répliques, furent considérés par les francophones comme des provocations, une violation du fragile équilibre communautaire.
Il faut dire qu’il avait eu la bonne idée de préparer psychologiquement les négociateurs francophones en affirmant (toujours dans cette interview à Libération) : « apparemment les francophones ne sont pas en état intellectuel d’apprendre le néerlandais ».
L’épisode fameux et ridicule où le premier ministre se mit à chanter la Marseillaise devant les caméras de la R.T.B.F. quand un journaliste lui demanda s’il connaissait les paroles de la Brabançonne acheva de le discréditer aux yeux des francophones.
En cet été 2011, le public peut avoir l’impression que l’on joue depuis quatre ans la même pièce avec les mêmes acteurs qui prononcent les mêmes répliques et s’envoient les mêmes bons mots pour faire rire l’assistance. Mais l’apparence est trompeuse.
« Fin de règne au 16 rue de la loi » a bien des points communs avec le fameux « Mousetrap » d’Agatha Christie. Peut-être même que notre tragédie pourrait battre le record de longévité du drame policier de la grande écrivain britannique (qui est représenté sans interruption depuis près de septante ans dans le même théâtre).
Il y a bien des ressemblances entre les deux pièces : Mousetrap serait un titre parfait pour désigner le récit de la crise belgo-belge. Et le huis-clos dans lequel la reine du crime a situé son histoire (un château dans lequel se sont isolés le policier, la victime et les présumés assassins) ressemble de manière troublante au lieu dans lequel se déchirent nos protagonistes.
Mais, si, quatre ans après les débuts sur la scène fédérale d’Yves Leterme, la victime du crime est restée la même (la Belgique qui se vide de son sang au fond du décor), l’intrigue a considérablement changé et surtout le caractère des principaux personnages.
Ainsi, Leterme, soupçonné hier d’être l’assassin, est devenu le héros des spectateurs francophones. Le garant de l’unité nationale. Le sauveur du gouvernement fédéral, depuis qu’il a oublié ses anciennes répliques qui fâchaient tant. Notre Hercule Poirot.
En revanche, aux yeux des spectateurs flamands, dont il était à l’époque la star, le grand acteur d’Ypres a perdu beaucoup de son lustre. Son souffleur a quitté l’ombre de la scène pour s’emparer de la tête de l’affiche et Leterme, dont le nom brillait jadis en lettres multicolores au fronton du théâtre, ne joue plus qu’un second rôle, celui de la doublure.
Tout ceci explique la difficulté de représenter désormais en Belgique le même spectacle devant des spectateurs venus de différentes régions du pays. Les uns et les autres n’applaudissent plus aux mêmes répliques et ils ne sifflent pas les mêmes acteurs. Quant à l’occupant de la loge royale, on peut comprendre qu’il soit un peu perdu devant les réactions contradictoires de la salle et qu’il n’ose plus rire à aucune réplique ni applaudir aucun acteur.
Mais les choses vont peut-être changer grâce aux vacances. Au théâtre, on affichera relâche. Il était temps que les spectateurs et surtout les auteurs et les acteurs respirent un peu d’air frais. Avec un peu de chance, ils vont aller se détendre aux mêmes endroits. Vibrer aux mêmes événements, aux péripéties du tour de France où la langue des coureurs n’aura plus d’importance quand retentira l’hymne national. Tom Boonen en vert et Philippe Gibert en maillot tricolore sont des coureurs belges.
Mais surtout, nos compatriotes liront sur la plage le même polar de l’été, un thriller passionnant, bien plus fort et plus meurtrier que ceux d’Agatha Christie, La Note d’Elio Di Ripo…

SMS ET PLUS SI AFFINITES

Depuis un an qu’ils ne nous disent plus rien, on se demandait vraiment à quoi pensent tous ces politiciens qui ne nous gouvernent pas ?
La réponse est venue de notre dernier leader bien-aimé-respecté. Ainsi donc, quand Yves Leterme pense, ce n’est ni à BHV, ni au remboursement de la dette, ni à l’avenir du Standard, même pas à la guerre qu’il mène en Afghanistan et en Lybie. Non, quand il pense, c’est à ça à qu’il pense. Eh bien…
On ne le voyait pas comme ça notre brave notaire social-chrétien. Dans la peau de D.S.K. Dites donc…
Quelqu’un a-t-il songé à enquêter auprès des femmes à journée polonaises qui, le soir, s’attardent dans les bureaux du 16 rue de la loi ?
Puisqu’une certaine presse a décidé que la vie privée torride de Yves Leterme méritait la « une » des journaux, autant aller jusqu’au bout des révélations. Déballons tout ! Pendant douze mois, les Belges ont crié : on veut un gouvernement ! En vain. Alors, changeons de slogan : ce qu’on veut, c’est un gouvernement seXuel ! Ce sera peut-être plus efficace.
Si, contrairement à l’image qu’ils affichent, tous ces êtres lointains qui se battent pour nous diriger sont au moins aussi brûlants que notre expéditeur des affaires courantes, on va avoir un gouvernement vite fait.
D’autres révélations ?
Ainsi, ce S.M.S. envoyé par un certain Bart D. à Oliver M. : « Mon petit francolâtre adoré, tu sais où j’aimerais mettre ta proposition d’élargir Bruxelles ? Réponds-moi viiiite ! »
Ou celui de ce même Olivier M. à un nommé Charles M. : « Ainsi, tu veux me quitter pour plus fort, plus puissant, plus borderline que moi ? Et tu t’imagines qu’il est prêt à te céder ? Pauvre naïf ! Si tu lisais le SMS qu’il m’a envoyé… »
Et dans la foulée ce message de Charles M. à Bart D. : « Mon lutteur chéri de la foire du midi, ne crois pas un mot de cette langue vipérine d’Olivier. C’est rien qu’un jaloux. Il sait qu’avec le régime de facilités que tu vas m’accorder, tu pourras tout avoir de moi. Tout ! »
Un certain Elio s’y est mis à son tour. Toujours à destination de Bart W., décidément le chéri de ces dames : « Ma mouette de la Vlaamse kust, j’ai appris qu’un tas de petits marquis tournent autour de toi comme des mouches folles. Méfie-toi de leurs faux serments ! Je suis en train de te fignoler une belle lettre d’amour, je suis sûr qu’elle te fera rougir autant que moi ! »
Faut-il s’étonner de ce tourbillon d’amour alors que notre vie politique récente a été rythmée par des mariages – des mariages ratés : la N.V.A. avec le C.D.&V., le S.P.a. avec Spirit, le M.C.C. avec le F.D.F. ? On comprend que certains préfèrent essayer les unions clandestines…

www.berenboom.com

MAUVAISE GRECE

Un amphithéâtre qui contemple une tragédie. La Grèce coule à pic dans le bleu intense de la Méditerranée. C’est notre maison, notre famille, à nous Européens. Pas de démocratie sans Périclès. Grâce à lui, eurêka ! On a pu élire Bart De Wever, Charles Michel ou Michel Daerden ! Et proclamer que le peuple a toujours raison ! Une idée née au cinquième siècle avant J.C. et qui percute le XXIème siècle ! Encore plus fort que l’effet papillon !
Et comment oublier que la philosophie de ce côté-ci de la planète est née des penseurs grecs, l’écriture de ses écrivains et poètes. Et les mathématiques et l’astronomie ?
Quelles que soient les causes de ses déboires, nous avons une dette immense à l’égard de la Grèce. Or, les dirigeants européens et particulièrement les autorités de l’Union donnent une fois encore l’impression en pleine crise de déserter en rase campagne. Aussi, permettez-moi de formuler quelques suggestions.
D’abord, déclarons le droit d’auteur des créateurs grecs illimité dans le temps. Permettant aux descendants de Platon, Sophocle, Homère, Euripide et autres Héraclite de percevoir immédiatement (et même rétroactivement) des droits sur tous ceux qui ont pillé impunément leurs œuvres depuis une vingtaine de siècles. Ajoutons-y des royalties à charge des producteurs de péplums italiens, hollywoodiens ou même japonais qui depuis les débuts du cinéma n’ont pas cessé de décliner l’Iliade, l’Odyssée et toutes les autres magnifiques légendes des conteurs grecs. Allez, à la caisse !
Quant aux statues ou autres sculptures et merveilles taillées jadis dans la pierre et qui ont été emportées par les Anglais, les Français ou les Allemands et que leurs musées refusent de restituer, qu’elle soient soumises à un loyer payé à l’état grec. Messieurs les Anglais, payez les premiers  si vous voulez conserver les fresques du Parthénon.
Et si tout ça ne suffit pas à regonfler les bourses grecques, reste alors à l’Europe de donner un coup de main. Un peu d’imagination que diable ! Tenez, on pourrait par exemple décider d’un troisième siège du Parlement européen à Athènes. Quel symbole ! Et pourquoi pas ? Les parlementaires se promènent déjà de Bruxelles à Strasbourg en passant de temps en temps par Luxembourg. Ce n’est pas une implantation supplémentaire qui dérangerait ces messieurs-dames ? On en profiterait pour construire un somptueux bâtiment où les architectes contemporains se mesureraient aux génies de jadis. Et une ligne de chemin de fer à grande vitesse pour relier toutes ces capitales. Relançant ainsi par de grands travaux, l’économie du pays. Soyons sûrs que les parlementaires européens iront avec plaisir se faire voir chez les Grecs !
Réveillez-vous, Mr Van Rompuy !

www.berenboom.com

LA BELGIQUE A L’INDEX

N’ayant pas d’autres chats à fouetter, la Commission européenne s’est avisée que notre système d’indexation des salaires devrait être réformé. Il paraît que les (maigres) augmentations de salaires résultant de la hausse de l’indice doivent davantage refléter les développements de la productivité du travail et de la compétitivité (je cite le communiqué glorieusement anonyme de la commission car quel fonctionnaire oserait signer ce charabia et puis faire face à sa petite famille en rentrant du bureau ?)
Traduit en langue belge, cela signifie : si votre entreprise ne fait pas de plantureux bénéfices et qu’en plus vous ne vous défoncez pas pour que votre patron s’offre de super bonus en fin d’année, oubliez que le prix du sucre, des pâtes et du pain a encore augmenté. Votre salaire est bloqué jusqu’à ce que les Chinois, dans un grand geste de bonté, décident de se retirer du marché et de ne plus envoyer leurs saloperies à prix bridés dans nos grandes surfaces.
Les Chinois ? Oui. C’est la faute aux Chinois si nous vous conseillons de couper les salaires de vos travailleurs, affirme la Commission. Tout ça, précise le technocrate letton ou finnois de service vient de ce que « la Belgique est spécialisée dans les produits à faible contenu technologique, soumis à une forte concurrence des pays à bas salaires. »
Faible contenu technologique, kèzaco ? Ca veut dire qu’on fait le zouave ? Et la Wallonie et son plan Marshall, dédié aux « pôles de compétitivité », à la recherche, aux nouvelles « technologies de l’environnement » ? Et la Flandre, ses start-up et sa Sillicone Valley, c’est aussi faire le zouave ? Et nos footballeurs que le monde nous envie ? Et le Standard qu’on s’arrache à coups de millions ? Et nos créateurs qui s’illustrent partout dans le monde ? Les auteurs de Loft qui réalisent un remake à Hollywood, Luc Taymans à la Biennale de Venise, Weyergans à l’Académie française, les frères Dardenne, Jaco Van Dormael, Marion Hansel, Cécile de France ou Benoit Poelvoorde, nos créateurs de mode, nos chorégraphes appelés du monde entier, tous ces artistes sont-ils aussi « soumis à la forte concurrence des bas salaires » ? Et c’est pour ça que les salaires de nos travailleurs doivent être bloqués ? Et l’index gelé ?
Vous savez où vous pouvez vous le mettre votre index ? Sur votre tempe et puis tourner dans un sens puis dans l’autre.
Pendant que la Grèce, l’Espagne, l’Irlande et le Portugal s’enfonçaient dans la mouise, que faisait l’Europe ? Quelles mesures a-t-elle prises pour prévenir ces crises, pour consolider l’euro, pour sauver l’économie de ses états membres ? Maintenant que la Belgique est donnée en exemple pour sa croissance, ces mêmes technocrates vont nous expliquer pourquoi nos travailleurs doivent se couper les vivres ?
Ce n’est pas à l’index qu’on pense, mais à un autre doigt, le majeur.

www.berenboom.com

SANS VOIX

Semaine étrange. Semaine des sans voix.
D’abord, il y a ceux qui auraient mieux fait de la fermer : les autorités allemandes qui s’étaient empressées, face à une épidémie bactérienne, de dénoncer le terrible concombre d’Espagne. Le concombre qui tue. Avant de faire marche arrière, la queue basse.
Il y a ensuite Celui dont le silence tétanise tout un pays. Le formateur (de quoi déjà ?) obligé de garder bouche cousue pendant une semaine. Une semaine ? On avait l’impression que Elio et ses compères la fermaient depuis un an.
Une autre voix s’est tue cette semaine, définitivement, hélas. Celle de Ricet Barrier, délicieux fantaisiste de la race des Bobby Lapointe, qui avait notamment chanté « La voix d’Ella. »
Il y a aussi ceux qui l’avaient vraiment trop ouverte : Berlusconi, renvoyé dans les cordes (vocales). Le bavard enfin confronté à son propre vide. Lèvres ou le néant. Emportant dans la tourmente, son mauvais ange, le patron de la Ligue du Nord, Umberto Bossi, sorte de cousin émacié de De Wever, côté pâtes.
Tiens ? En voilà un justement qui a profité du silence général. Proférant à haute voix des réflexions étranges. Si la Belgique tient debout, a expliqué le président de la N-VA, c’est à cause des Flamands bilingues. Comme son objectif avoué est la disparition du pays, doit-on comprendre qu’il va désormais s’en prendre aux Flamands capables de s’exprimer dans la langue de Pierre Mertens ? Une catégorie d’hommes cultivés dont il est un parfait représentant… Preuve que, décidément, cet homme ne s’aime pas.
Pendant ce temps, on a entendu des voix qui auraient mieux fait de s’abstenir : celles des membres de la F.I.F.A, données les yeux fermés à leur président sortant pour assurer sa réélection. M. Blatter, un vrai sportif, qui avait réussi à éliminer un à un ses adversaires pour se retrouver tout seul en finale, laissant l’arbitre bouche bée. On ne touche pas à la voix de son maître. En l’occurrence, le silence est d’or.
Face à tous ces professionnels de la parole, exceptionnellement silencieux, ce sont les citoyens, habituellement muets, qui ont pris le relais. Le mouvement initié par les foules arabes il y a quelques semaines s’est étendu comme une traînée de poudre à l’autre côté de la Méditerranée, en Espagne, en Grèce, suscitant même quelques échos chez nous. Mai a toujours été le mois des indignés, le temps du ras-le-bol. Les protestations de ceux qui crient à gorge déployée entraîneront-ils un grand nettoyage de printemps ? Il faudrait être capable de traduire la voix des sans voix.
Mais, si les hommes de pouvoir se taisent, est-ce pour écouter la rue ? Ou parce qu’ils sont définitivement aphones ?

www.berenboom.com

VACANCE-S

Radieux, lumineux. L’office météorologique le confirme : c’est un printemps exceptionnel; pour une fois, le communiqué est clair, compréhensible et ne semble pas traduit directement du coréen par une famille de météorologues recomposée en Belgique depuis peu.
Une atmosphère de vacances baigne les villes, les places et même les bureaux. Terrasses noires de monde, vin pétillant, rires et surtout jupes réduites à leur plus simple expression et décolletés audacieux (pauvre DSK, privé du spectacle ! Ca aussi tu l’as raté, mon vieux !)
Attablé à une terrasse, je contemplais, béat, le ciel bleu d’une transparence irréelle lorsque mon compagnon de bistrot me fit remarquer un objet lumineux qui se dirigeait lentement dans notre direction.
« As-tu oublié que nous sommes en guerre ? » me fit-il remarquer.
Comme je le regardais ahuri, il ajouta :
« Nous pilonnons Tripoli. Pourquoi les Libyens ne bombarderaient-ils pas Bruxelles sud ? »
Je ricanai gentiment et levai mon verre de gueuze grenadine.
« Tu vas boire ça ? Malgré la poussière ? ajouta-t-il avec un regard inquiet.
– La poussière ?
– Ce n’est pas parce que les journaux ont d’autres chattes à fouetter que la centrale de Fukushima a arrêté comme par magie de rejeter sa fumée mortelle. Crois-tu que ses émanations repartent vers le Japon en voyant la tête des douaniers belges ? »
Je déposai mon verre et demandai précipitamment l’addition.
Peu à peu, le soleil aidant, je me laissai regagner par l’atmosphère de vacances. Tout le monde s’y est mis. Même les Grrrands du monde qui ont choisi Deauville pour faire trempette. Derrière leurs lunettes de soleil et leurs sourires désarmants, tous les malheurs du monde, les dizaines de conflits en cours, l’image de l’élimination de Ben Laden et celles des victimes de Mladic et de ses complices semblent refluer avec la marée, laissant une plage immaculée, sans même les traces d’un poisson mort (des centaines de travailleurs immigrés y ont veillé). Aussi immaculé que le communiqué final. Les crocs-en-jambes ne se font que dans l’ombre.
Pour parfaire le tableau, il y a même quelques grèves. Oh ! Des petites ! Insignifiantes ! Pas de quoi ennuyer le bon peuple (les TEC exceptionnellement ont roulé toute la semaine ; gagnés par la torpeur ambiante, leurs sympathiques chauffeurs ont oublié leur amusante habitude de prendre leurs passagers en otage). Juste pour nous rappeler le joli mois de mai.
Reste Elio Di Rupo, formateur farniente, qui reçoit, bronzé, pas trop loin de la piscine, tous ceux avec lesquels il bavarde depuis trois cent et des jours, à la recherche de sensations nouvelles face à la vacance du pouvoir.
Où l’on voit que la langue française est riche : avec s vacances signifie plaisir. Sans s, le vide.

www.berenboom.com

AMOUR-HAINE-PARIS

D.S.K., D.S.K., le monde francophone belge vibre une fois de plus en cadence avec les Français. Bruxelles vacille lorsque Paris tremble. Les malheurs, les maladresses ou les fautes du brillant patron du FMI, annoncé comme le futur président socialiste de la république française, remuent toutes les conversations de Bruxelles à Arlon, remplissent les journaux, alimentent les débats télévisés bien plus que notre crise politique.
Si les aventures de D.S.K. attirent tous les regards, ce n’est pas seulement par son côté sexuel. C’est surtout parce qu’elle met en cause un des politiciens les plus importants du landerneau politique français. Si le président Sarkozy se retrouvait errant dans la campagne après avoir sauté d’un train en marche (comme son prédécesseur Paul Deschanel), on en parlerait avec autant de fièvre !
On l’a souvent constaté : demandez à un Wallon qui est son ministre de la culture, il ne saura généralement pas répondre (sauf s’il vit de ses subsides). Mais interrogez-le sur la composition du gouvernement français, il vous citera la plupart de ses membres, ainsi que le nom de tous les présidents de partis français.
Entre Belges francophones et Français, c’est une vieille histoire d’amour-haine.
Wallons et Bruxellois aiment se moquer des Français, de leurs mœurs politiques, de leur cinéma fatigué et banal, de leur littérature éteinte, de leurs politiciens creux, de leur télévision débile et de leurs présidents plus ou moins fous. Mais en même temps, ils ont pour Paris les yeux de Chimène.
Et cette histoire d’amour-haine est ancienne. A la sortie du premier film d’André Delvaux, toute la critique belge s’est moquée de De man die zijn haar kort liet knippen. Ennuyeux, lent, cérébral. Le film n’a fait qu’une carrière éclair avant de disparaître des rares écrans qui le programmaient. Quelques mois plus tard, le film est miraculeusement sorti à Paris. Delvaux a été accueilli comme une révélation, un nouveau Ingmar Bergman et son film acclamé. Aussitôt les critiques belges (les mêmes qui l’avaient assassiné à sa sortie) ont encensé le film et fait de Delvaux le chevalier du nouveau cinéma belge. Et le film a fait une nouvelle carrière dans les cinémas.
Trente ans plus tard, le phénomène s’est reproduit avec les frères Dardenne. Leurs premiers films sont sortis dans l’indifférence mais La Promesse, saluée par la critique française puis Rosetta, magnifique vainqueur de la palme d’or à Cannes, ont fait des frères Dardenne des stars chez nous. Paris les a reconnus ! Ce n’est qu’à cette condition qu’ils ont pu devenir de grands cinéastes aux yeux de nos intellectuels.
Le même phénomène existe en littérature. Nos écrivains sont dédaignés s’ils sont publiés par de petits éditeurs belges. Ils ne sont célébrés que s’ils sont publiés par Gallimard, Le Seuil ou Minuit et plus encore s’ils remportent un prix littéraire à Paris.
Ce phénomène est d’autant plus étonnant que nos écrivains, nos cinéastes, nos chorégraphes ont développé une œuvre de moins en moins « parisienne ». Il n’y a pas d’équivalent français des frères Dardenne ou de Jaco Van Dormael en cinéma, ni de Pierre Mertens ou de Thomas Günzig en littérature. Ou encore de Michèle-Anne De Mey en chorégraphie. Tous ces créateurs sont beaucoup plus proches de leurs collègues flamands que de leurs équivalents français.
Et pourtant, c’est la reconnaissance de Paris que cherchent nos artistes.
Alors, un conseil aux hommes et femmes politiques français. Si en 2012, ça tourne mal pour vous, que vous n’êtes pas élus président de la république ou député dans votre département, ne vous creusez plus la tête pour trouver un nouvel emploi qui sauvera votre famille de la famine : venez en Belgique. Vous serez accueillis en héros, en stars.
Martine Aubry ? Sa mairie de Lille (à quelques kilomètres de la frontière belge), son air maussade et surtout la victoire du LOSC, son équipe de foot’, lui garantissent une élection éclatante à Liège, capitale du Standard.
François Hollande a déjà un nom qui lui assure la direction du gouvernement fédéral. D’ailleurs personne d’autre n’en veut !
Quant à DSK, qu’il vienne chez nous. Il est certain d’être accueilli en triomphateur s’il propose ses services comme ministre belge de la Justice !

Alain Berenboom
De Standaard 26 mai 2011

LA BELGIQUE CONTRE DSK

Qui peut dire à l’heure actuelle si D.S.K. est un agresseur violent, un type au comportement aberrant, un cinglé ou la victime d’une machination? Une seule chose est sûre : depuis la chute des tours du W.T.C. à Manhattan, celle de D.S.K. à quelques pas de là est l’info du siècle.
On ne parle que de « ça », on ne regarde que « ça ».
Oubliées l’élimination réussie de Oussama Ben Laden, celle imminente paraît-il de Mouammar Kadhafi. Effacés le tremblement de terre et le tsunami au Japon, l’effondrement de la centrale nucléaire de Fukushima et l’irradiation de ses travailleurs plus ou moins forcés. Enterrés aussi les abominables massacres quotidiens des peuples syriens et yéménites par leurs dirigeants, sous le regard gêné de la communauté internationale.
D’une certaine façon, on respire. Ces dernières semaines, l’histoire s’était accélérée. Où que l’on tournât les yeux, la planète n’était plus qu’explosions, désastres naturels, révolutions, massacres, bouleversements politiques. Des événements nouveaux, qu’on ne parvenait pas à expliquer, à gérer, à juger, des révolutions inattendues dont on ne savait si elles apportaient un peu d’espoir à leurs populations ou si elles les enfonçaient un peu plus dans l’ombre, des guerres bizarres menées en notre nom mais guère contrôlées par nos représentants démocratiques et dont on n’était pas certain de comprendre les enjeux ni de déchiffrer les protagonistes.
Ouf ! Grâce à D.S.K., le rideau est tiré sur toutes ces énigmes, tous ces défis. Avec cette bonne vieille histoire de cul entre soubrette et vieux monsieur riche, on retrouve ses marques et ses certitudes. Ah ! Cette « chair » tradition française du côté de Feydeau. Au théâtre ce soir ! C’est tellement rassurant !
Tous les dirigeants politiques du monde se sont sentis soulagés. Merci D.S.K. ! Cette affaire leur apporte un répit bien mérité que la sortie d’une nouvelle saison de « Lost » n’avait pas réussi à leur offrir.
Tous ? Non. Avec un courage et une imagination qui ont fait la réputation de notre classe politique, les héros qui peuplent nos parlements ont refusé le diktat des medias. Seuls face au reste du monde, ils ont contre-attaqué et réussi à faire plus fort que les scénaristes qui pilotent D.S.K., plus original que ses conseils en communication et plus créatif même que ses avocats.
La même semaine, ils nous ont annoncé, tenez-vous bien, un – presque – premier ministre wallon et la prise en considération par à peu près tous les députés flamands de la proposition de loi déposée par l’extrême droite sur l’amnistie des collaborateurs belges des nazis.
Là, ils ont frappé fort. Il paraît qu’au fond de sa cellule, D.S.K. a murmuré : « Chapeau ! »
Et reconnu sa défaite.

www.berenboom.com

PANEM ET CIRCENSES

Lorsque j’étais enfant, j’ai eu le cœur brisé par la mort de mon héros, Stan Ockers, qui s’était fracassé le crâne sur la piste du vélodrome d’Anvers.
Ado, je m’étais emballé pour notre tout frais champion du monde, Jean-Pierre Monseré, fin et racé, jusqu’à ce qu’il soit fauché au début d’une brillante carrière par un automobiliste.
Ensuite j’avais perdu un peu de mon enthousiasme candide à cause de ma nouvelle idole, Michel Pollentier. Un coureur fou qui zigzaguait de façon si extravagante sur la route qu’il faisait deux fois plus de kilomètres que ses concurrents. Je le croyais capable de rééditer les exploits de Merckx et de Van Impe mais il fut surpris tenant caché un flacon d’urine dans son slip lors d’un contrôle anti-dopage alors qu’il venait de s’emparer du maillot jaune au tour de France. D’autres champions, pris comme lui, avaient fini par éroder un peu ma passion pour la petite reine. Et les piètres résultats des Belges au tour de France, s’ils me rassuraient sur leur déontologie, ne contribuaient guère à faire renaître mon intérêt. Jusqu’à l’année dernière qui vit le réveil des Belges, et un magnifique printemps tricolore lors des classiques en ligne. Mais la mort de Weylandt vient soudain rappeler la cruauté d’un sport dont les champions paraissent si sereins et si faciles lorsqu’ils lèvent les bras en passant victorieusement la ligne.
On croyait le rêve à portée de pédales. C’était oublier les leçons de la tragédie grecque : il ne faut jamais tenter d’égaler les dieux. Icare fracassé en plein vol parce qu’il tentait de monter trop haut. Ces footballeurs blessés, opérés sans cesse, ces tenniswomen démantibulées, ces champions vieillis avant l’âge, qui ont une tête de retraité quand leurs copains d’école démarrent dans la vie.
Qu’est-ce que Weylandt a goûté des plaisirs de la vie ? Tué en pleine jeunesse, on imagine qu’il n’a jamais connu que les invraisemblables sacrifices qu’on exige maintenant des champions de haut vol. Une discipline de soldats en guerre. Et pourquoi ? Pour espérer entendre une fois, une fois seulement, son nom crié au passage d’une classique ou d’une étape d’un grand tour où il aurait miraculeusement jailli du peloton pour caracoler en tête et arracher le baiser de la miss de service.
Tant de jeunes pensent aujourd’hui que gagner est facile. Il suffit de jouer au Lotto. N’est-ce pas ce que promettent la pub et les animateurs télé ?
Boonen, Van Summeren, Gilbert, comme Weylandt ne croient pas au Lotto. Peut-être ne regardent-ils pas assez la télé ? Ils donnent du spectacle, font battre les cœurs, vibrer des foules. C’est peu dans l’histoire du monde ? A y réfléchir calmement, tellement plus que tous les prometteurs de beaux jours à qui nous avons fait tant confiance.
www.berenboom.com

ARTHUR, OU T’AS MIS LE CORPS ?

La vraie question que pose la liquidation d’Oussama Ben Laden est celle-ci : Bon Dieu ! Où est le corps ?
Inutile de dire que personne n’accorde foi à la version officielle. Le cadavre à la flotte pour empêcher ses groupies de se prosterner sur sa tombe. Allons ! Alors que des experts réussissent à remonter du fond de l’Atlantique les boîtes noires de l’Airbus A330 du vol Rio-Paris, on se doute que les membres du club Ben Laden n’auront de cesse de plonger toutes palmes dehors dans la mer d’Oman à la recherche de leur idole, facile à repérer grâce aux ondes de haine qu’il continue d’émettre.
Alors, où est le corps ?
La vérité est peut-être que les soldats d’élite l’ont tout simplement égaré dans le feu de l’action.
« Où c’est que tu as mis Oussama, Art ?
– M’enfin ! C’est toi qui devais t’en charger !
– Moi ? Je n’ai fait qu’obéir aux ordres du président. Il me dit de tirer, je tire. Il me dit de me tirer, je me tire !
– Alors, on a dû l’oublier sur la table ! 
– Fuck ! Le film ne sortira jamais ! On aurait l’air trop ridicule ! Et ma petite amie qui pensait que j’allais devenir une star ! Encore raté ! »
Ce ne sont évidemment pas les Pakistanais, déjà soupçonnés d’avoir caché le terroriste n°1, qui vont vendre la mèche. Dès que les Américains ont évacué les lieux en laissant leurs saletés derrière eux, ils ont nettoyé la villa à toute vitesse pour abriter un autre ami en fuite. Kadhafi, Bachar el-Assad ou encore Ali Abdullah Saleh. Les candidats locataires ne manquent pas dans le monde arabe en ce beau printemps.
Selon une autre hypothèse, la mort de Ben Laden est un leurre, comme l’était son existence. Il n’a pas non plus marché sur la Lune, ni dirigé des avions sur le World Trade Center et le Pentagone. Ses vidéos ont été fabriqués (pas très chers vu les décors miteux et la caméra hésitante) par un producteur fauché. Ben Laden est une farce, une création de la propagande américaine pour salir l’image des bons musulmans dans le monde. Un indice : a-t-on jamais vu quelqu’un qui s’efforce d’être pris au sérieux se promener avec une barbe pareille sinon dans les films des Monty Python ?
Reste une dernière hypothèse qui circule dans « les milieux généralement bien informés » : Ben Laden n’a pas été abattu. Emballé dans son drap de lit, il a été emporté aux Etats-Unis et enfermé dans une base secrète au fond d’une cellule avec Staline et Hitler.
On ressortira le trio le jour où un quatrième larron prétendra à son tour devenir le maître du monde. Avec le réchauffement de la planète et le réveil des volcans, on peut s’attendre malheureusement à une accélération des cervelles en fusion dans les mois qui viennent.

www.berenboom.com