TRANSFERTS

Sont bizarres les Flamands. Se plaignent sans cesse des transferts Nord-Sud et voilà qu’ils nous transfèrent Rudy Aernoudt et peut-être Jean-Marie De Decker. Allez comprendre !
Aernoudt fut secrétaire général du département Innovation de l’administration flamande. Annoncera-t-il la réouverture de grands magasins dans le Borinage ? A moins que sa spécialité soit ces « nouvelles technologies » qui font baver les technocrates. Dans ce cas, on peut s’attendre à la promesse d’un nouveau plan Marshall (portant un nom plus paillettes, genre le plan Henri Conscience ou le plan Ruysbroeck l’Admirable), enfin, un bazar qui fera miroiter une fois de plus l’installation d’une Silicone Valley entre Binche et La Louvière. « Rudy Aernoudt ou le Messie qui va dévoiler aux Wallons tous les trucs secrets des Flamands pour devenir riches. » Ce slogan peut impressionner un certain nombre de voix francophones.
Il n’est pas seul sur le tatami. En ces temps où la bourse est chahutée, Jean-Marie De Decker a lui aussi un atout dans la manche de son kimono : c’est un spécialiste de la prise ferme. Capable de transformer la ceinture trop verte du Luxembourg en une ceinture noire. « Suffit de rouvrir les mines ! » promettra-t-il. Ce genre de promesses faciles à comprendre a fait un malheur en Flandre. Comment personne n’y avait-il pensé plus tôt ?
Les sauveurs venus du Nord vont-ils ranimer le pays ? Même le gouvernement en est convaincu, qui a installé à la tête de Dexia l’inusable Jean-Luc Dehaene, qu’on croyait tué par les poulets aux hormones puis emporté par le tsunami de la constitution européenne.
Après les échecs à répétition dans les négociations entre Flamands et francophones, le transfert vers le sud des Flamands les plus pointus est peut-être la solution diabolique qui pourrait réconcilier le pays : Bart de Wever bourgmestre de Poncelle à la place du maïeur Piedboeuf (ça ne s’invente pas) afin de surveiller sa sœur, Karina, qui émarge du Forem local depuis trop longtemps. Son copain de la N-VA, Jan Jambon à Bastogne évidemment. Voilà quelques nouveaux Wallons qui feront le poids dans la négociation communautaire. En échange, la Wallonie se fera un plaisir d’offrir à la Flandre son grand argentier, Michel Daerden qui expliquera aux Flamands qu’ils sont encore plus riches qu’ils ne le croient ; il suffit d’aligner les chiffres autrement et de les voir double. On a aussi en réserve Jean-Claude Van Cauwenberghe avec un régiment d’autres assistés de Charleroi, qui pourraient venir renforcer utilement les rangs d’un SPA, bien anémique.
On vos donnera tout ça, beste vrienden, et même plus tou si vous voulez. Mais, pardon, laissez-nous le Standard !

Alain Berenboom
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FAUT RIGOLER !

Tout n’est pas mauvais dans la crise. Depuis que les tours du monde financier se sont écroulées, on n’a jamais autant organisé autant de rencontres entre chefs d’état. A trois, huit, vingt-sept, quatre-vingts. Tous les jours, des avions spéciaux emmènent les grands chefs dans un autre coin de la terre. La couche d’ozone ? A l’heure où Fortis et la Bank of America ruinent leurs petits épargnants, qui s’intéresse encore à l’avenir de la planète bleue ?
Et le prix de ces déplacements ? Toujours moins cher qu’une réunion des cadres de Dexia et de Fortis dans un trois étoiles à Monaco.
A quoi bon cette bougeotte permanente ? L’Europe n’en sort unanime que pour constater les dégâts. Les Hollandais nous piquent nos bijoux, les Italiens regardent ailleurs, les Allemands comptent leurs sous en regrettant le bon temps du mark (Ach !) et les Espagnols sont jaloux que les Belges renflouent une ou deux banques françaises, on ne sait plus très bien. Mais qu’espérez-vous des chefs d’état ? Ils savent bien qu’ils n’ont aucun pouvoir, certainement pas sur la circulation folle de l’argent. Ils ont tout « dérégulé », rendu à la bonne volonté du marché. Alors, que leur reste-t-il sinon leurs dents pour rire. Justement, c’est ce qu’ils font. Regardez les photos à l’issue de chacun de ces sommets: ils se marrent, ils se poilent, ils se fendent la pipe. Rencontre au sommet ? Non, festival de la grimace.
Sortis de leurs très secrètes délibérations, c’est à qui sera le plus grimaçant devant l’objectif. Sarkozy ricane, Berlusconi se gondole, Angela Merkel plisse les lèvres. Même Gordon Brown esquisse l’ombre d’un projet de sourire, lui dont on croyait le visage définitivement affaissé depuis le jour où sa maman a donné son Yorkshire à son voisin en disant : « Tu comprends, Gordon, le petit Tony Blair en a plus besoin que toi ! » Il y a juste Leterme qui ne comprend pas très bien mais ce n’est pas grave. Bush lui expliquera.
Faut rigoler ! chantait jadis Henri Salvador. Oui, mais de quoi ? On leur a dit que leur air détendu allait rassurer les citoyens au bord de la panique. Facile à dire. On ne rit pas sur commande.
On comprend mieux alors pourquoi rien ne filtre de ces mystérieux caucus. Interventions de la banque européenne ? nouveaux instruments de contrôle ? coordination des actions des états ? Evidemment, non. Lorsqu’ils s’enferment, ceux qui nous gouvernent se racontent des blagues. Pendant des heures jusque ce que l’une d’elles déclenche enfin le rire salvateur. Et les précipite vers les photographes.
Plus tard, lorsqu’on écrira l’histoire de cette crise, j’espère qu’on n’oubliera pas de recueillir tous ces gags qui ont sauvé la planète. Histoire que nous puissions enfin nous marrer à notre tour.

Alain Berenboom
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TROC, TROC, TROC

En cette époque de micmac, pourquoi pas le troc ?
Je te donne un vélo, tu me donnes ta collection de timbres du Ruanda-Urundi. Un scoubidou authentique époque Sacha Distel contre un crac-boum-hue garanti Jacques Dutronc. Trois salades bio contre une caisse de chocolats Mars. Un Bart de Wever contre un Michel Daerden. Comment ? ça ne fait pas le poids ? Alors, j’ajoute en prime les mandats de réviseur du fils Daerden dans les intercommunales wallonnes. Mais toi, tu me livres le Flamandissime avec ses deux copains Jambon et Bourgeois qu’on va refrancophiliser. Retrouver leur racines les calmera un peu, qui sait ?
Les employés de banques seront sans emploi ? La belle affaire : ils vont devenir libraires et le papier sur lequel on imprimait bêtement de l’argent servira à fabriquer des livres. Maurice Lippens au rayon bandes dessinées, ça a une autre gueule que le patron de Fortis jouant au Monopoly avec notre argent. Evidemment, il risque de garder quelques vieux réflexes quand on lui demandera un conseil : « Tintin, c’est un placement de père de famille mais si vous voulez un peu plus spéculatif, prenez Joann Sfar, une valeur sûre. Et, si vous êtes prêt à courir un risque, investissez dans Dupuy et Berberian. Personnellement, j’ai acheté toute la série Monsieur Jean. J’y crois autant que dans ABN Amro, c’est dire. »
Et la ville ? Elle se remettra vite de la disparition des banques. Le siège de Fortis au Ravenstein (deux poubelles métalliques géantes) redeviendra le splendide immeuble dans lequel se mirait jadis le Palais des Beaux-arts mais qui faisait trop vieux pour les si modernes patrons de la Générale. Fini les tours tristes d’ING à Etterbeek, les immeubles rideaux en aluminium où trônent tant d’agences. A la place des guichets blindés, des coffres gardés par des hommes en armes, pousseront des arbres, des squares et des bancs où l’on pourra troquer à l’aise. Et quelques troquets.
Leterme et Reynders ont bien tort de s’énerver, de s’user la santé à sauver à tout prix le système financier. La crise a du bon. Echangerai une bonne crise contre une réforme institutionnelle bidon.

Alain Berenboom
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PS : au diable l’avarice ! Puisque les banques n’en veulent plus, claquez vos sous au cinéma avec cette semaine une divine surprise, « Une chaîne pour deux » premier film de Frédéric Ledoux. Portrait d’un groupe d’ouvriers en détresse dans une petite usine vendue à un grand groupe financier… Le sujet ne vous paraît pas très appétissant ? Preuve qu’il n’y a pas de mauvais sujets ! Ledoux parvient à faire des claquettes et à rire avec des travailleurs wallons aussi craquants que les boys des Full Monty ou les paumés des comédies à l’italienne de Risi et de Comencini.

CHER SAINT NICOLAS

Je sais qu’on est un peu tôt dans l’année mais, avec le réchauffement climatique et Sarah Palin prix Nobel de la Paix, qui sait où vous serez en décembre ?

Je profite donc de la chute des feuilles, de la température et de la finance pour vous envoyer ma petite bafouille.

L’an dernier, vous n’avez pas été très généreux avec moi comme qui dirait. D’accord, je n’avais pas timbré ma lettre mais était-ce une raison pour me claquer la hotte sur les doigts ? Les cinglés de Jéhovah nous ont certes distribué quelques boissons chaudes et un paquet de bibles – que même à la brocante, on ne parvient plus à fourguer- mais, de retour dans ma boîte en carton à l’entrée de la gare, c’était pas Noël si vous voyez ce que je veux dire. Je vous avais demandé un petit internement au 127 bis mais paraît que je faisais pas assez étranger. A la prison, c’était complet. Et chez les fous, ils m’ont ri au nez. Bref, j’ai pas envie de claquer des dents un autre hiver dans le couloir de la gare centrale. Or voilà que l’autre jour, un supporter d’Anderlecht, de retour dégoûté de Sclessin, m’a jeté son T-shirt mauve, à la gloire de son équipe. Ou plutôt de son sponsor, la Fortis.

Quand je l’ai enfilé, mon voisin, « La Science », l’intellectuel de la gare qui lit « Métro » tous les matins, il s’est écrié : « Eh bien, Marcel ! C’est drôle comme tu ressembles à ce type là ! » Il me montrait la photo de première page d’un monsieur Lippens. Le patron de la Fortis, qui venait de rendre son tablier comme qui dirait. Même qu’il tirait une drôle de tête, ce monsieur Lippens, celle d’un gros gourmand à qui le docteur vient d’interdire la mousse au chocolat jusqu’à la fin de ses jours. Bref, c’est vrai que ce gars, je lui ressemble comme un frère. Or, qu’est-ce que me dit « La Science » ? Comme quoi le gouvernement belge, il cherche très vite un bonhomme pour se glisser dans le fauteuil à monsieur Lippens, sinon les Hollandais vont nous refiler un chômeur à eux. Et c’est là que j’ai eu l’idée qui peut arranger tout le monde et moi-même, grand Saint Nicolas. Il suffit que tu me nommes patron à la place du patron. Moi, je suis au chaud jusqu’au printemps. MM. Leterme et Reynders, ils ont leur Belge dans la place. Les autres patrons ne me feront pas la gueule vu que je risque pas de menacer leur job. Et les gens à Fortis, les clients, les actionnaires, le personnel, ils seront ravis de se retrouver exactement comme avant la crise avec le clone de leur patron qui répétera comme lui : « Tout va bien. Rien à craindre. Nous sommes tellement plus intelligents et plus forts que les autres ! »

Comme on dit chez ces gens-là : c’est une opération win-win. Tu vois, grand saint, le métier commence à entrer !

Alain Berenboom

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LA CRISE EST FINIE

Mc Cain : Assieds-toi, fils. J’ai tout arrangé. Je suis d’accord avec toi : l’Amérique ressemble ces jours-ci à une bagnole sur le point de rendre l’âme. Mais, grâce à mon plan, quand tu deviendras président (il lui fait un clin d’œil), tu auras l’impression de recevoir de G.W. Bush les clés d’une voiture neuve. Il suffit que tu apposes ta signature là, en bas, tu vois ? Juste en dessous-de la croix. Tu veux mon stylo ? Tu peux le garder. En souvenir.
Obama : John, pourquoi cette réunion doit-elle se tenir à Anchorage ? J’ai froid et ça pue le pétrole dans cette maison !
Mc Cain (à mi-voix) : chut ! cela fait tant plaisir à Sarah. Ne le répète pas mais elle se sent un peu inutile.
Sarah Palin (entrant avec un plateau de thé) : Surprise ! Je l’ai fait chauffer moi-même sur un feu de bois. (A Obama 🙂 On se connaît ? Non, ne dites rien. Je sais que John essaye de me tester. Voyons, vous êtes président de l’Afrique, hein ?
Mc Cain (poussant un soupir): Sarah, tu ne reconnais pas notre ami Barack Obama ?
Palin : My God ! Où avais-je la tête ? C’est la faute de ces sacrées lunettes. Je l’avais dit à l’opticien. Mais il m’a répondu qu’elles m’allaient si bien et que, de toute façon, il n’y a rien à voir.
Mc Cain (il lui tend un journal) : Sarah, sois une bonne fille. Tu m’as promis de connaître toutes les subtilités de la politique internationale d’ici la fin du mois.
Obama : Bon. Laissez-moi étudier votre projet, John. D’ici l’Election Day, je risque d’être un peu à la bourre. Mais dès le 5 novembre, je vous promets d’y consacrer un peu de temps.
Mc Cain : Comment ? Attendre alors que les Etats-Unis sont en danger ? Laisser d’autres compagnies se casser la figure ? D’autres hommes perdre leur emploi ? 600.000 travailleurs ont déjà perdu leur job depuis janvier ! Seriez-vous un mauvais Américain?
Palin : Au secours ! Un terroriste dans ma maison !
Obama : Sarah, voulez-vous déposer ce fusil ? Est-ce que j’ai une tête d’ours blanc ?
Mc Cain (s’impatientant): Alors, Barack, tu le signes ce plan ? Les patrons s’impatientent ! Ils attendent leurs chèques. Et moi, les contributions pour ma campagne…
Obama : Ecoute, John, discutons de tout ça lors de notre prochain face-à-face télévisé.
Mc Cain : Face-à-face ? Fils, épargnons à nos compatriotes le spectacle d’une Amérique qui se divise alors que le monde entier se ligue contre nous. Voilà ce que je te propose : changeons les règles. Je deviens président et toi, vice-président. Du coup, les Américains iront travailler le 4 novembre plutôt que perdre leur temps à aller voter.
Palin (brandissant le journal): Cessez de vous chamailler, les gars ! La crise est finie ! Le monde est sauvé !
Mc Cain et Obama : ??
Palin : Le C.D.&V. a largué la N-VA !

Alain Berenboom
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L’HOMME DE LA RUE

Le krach boum hue qui secoue l’économie américaine, ébranle les bourses de la planète et menace le prêt à tempérament de la nouvelle machine à laver du couple Leterme-De Wever donne lieu à un matraquage de commentaires assourdissants dans les media. Depuis l’éclatement de la bulle financière, tous les spécialistes et autres gourou défilent devant micros et caméras pour expliquer d’un air constipé la raison d’une catastrophe qu’ils n’ont ni prévue ni annoncée ni comprise mais, à leur air posé et grave, on devine que, si on les avait entendus, on n’en serait pas là. Exemple, les discours lénifiants du nouveau patron du F.M.I., Dominique Strauss-Kahn qui claironnait il y a quelques semaines que le pire était passé. La situation allait bientôt se redresser. Ah ! Entre parenthèses, aucune de ces madames Soleil n’évoque les salaires déments des dirigeants des entreprises qui précipitent aujourd’hui le monde dans la crise ni leur maintien aux commandes alors que c’est leur mode de gouvernance qui a ouvert le gouffre. Comme on le dit à la Fédération française de football, on ne change pas une équipe qui perd.
Cette semaine, on épinglera le commentaire du vicomte Davignon, venu expliquer avec son talent habituel d’emballeur pourquoi la vente vite faite à Lufthansa de la compagnie Brussels airlines, créée pour sauver l’aéronautique belge et la présence de notre pays dans le ciel après la faillite de la Sabena, était une magnifique opportunité pour préserver l’image belge de la compagnie ! Et de rassurer « l’homme-de-la-rue » sur l’avenir du monde en général, de la Belgique en particulier et du sien de toute façon. Et, dans la foulée, d’apaiser l’homme-de-la-rue : son portefeuille d’actions n’est pas en danger. Pour le vicomte, l’homme-de-la-rue a nécessairement un portefeuille d’actions…
L’Homme-de-la-rue, quelle expression délicieusement désuète ! Un film de Frank Capra l’avait rendue célèbre (en version originale, Meet John Doe ). Gary Cooper incarnait un pauvre qui annonçait son suicide le soir de Noël à cause de la situation sociale et économique (le film se passait pendant l’autre crise, celle des années trente). Mais le film était aussi et surtout une dénonciation de la manipulation du citoyen par la presse et le pouvoir. John Doe n’existait pas. Son désespoir était bidon. C’était un faux pauvre, mis en scène par une journaliste qui avait trouvé là matière à un beau scoop.
Alors que gronde à nouveau la crise, on a un peu l’impression de se retrouver dans la situation de John Doe, victime de la situation économique mais aussi totalement déboussolé par les explications qui en sont données. Espérant qu’un Capra déchirera le rideau de fumée…

Alain Berenboom
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PAR LE TROU DE LA SERRURE

Choquante, l’interview de rentrée de M. Reynders dans notre quotidien favori. Selon le président du M.R., vice-premier, ministre des finances, si la Wallonie stagne, c’est la faute aux Wallons. Il est temps de retrouver « le goût de l’effort » qui nous fait tant défaut, martèle Grosse tête-triple casquette.
On comprend l’amertume de Rudy Demotte. Après tant d’efforts pour décrocher la tête de la région wallonne puis de la communauté française et tant de soirées à apprendre le néerlandais, lui reprocher de ne pas avoir « le goût de l’apprentissage pour les matières de base », c’est un peu fort de café, sterk van koffie. Et ce faux calme de se lâcher : « Mr Reynders est le cheval de Troie des Flamands » ! On croit entendre la voix de Zeus lui-même.
Pourtant, Reynders a raison de dénoncer le talon d’Achille de la Wallonie, le chômage. Mais comment trouver du boulot ? Il y a ceux qui comme Ulysse font un long voyage, abandonnant leur pauvre région à son sort. Mais beaucoup d’autres s’accrochent, cherchent, envoient leur CV sans désespérer malgré les réponses de refus polies, moins polies ou pas de réponse du tout. Faut dire que les politiques trustent à eux tout seuls les principaux jobs wallons : Reynders occupe trois fonctions de chef à lui tout seul, Milquet et Demotte, deux, di Rupo aussi. Sans parler des mandats dans les intercommunales. Or, voilà que les autres jobs, qu’on obtenait jusqu’ici grâce à la concierge de la copine de la petite amie du ministre, deviennent eux aussi inaccessibles. Un échevin schaerbeekois recherche un chef de cabinet par le biais des petites annonces ! De plus, il exige des candidats bilingues. D’accord, le poste convient à Reynders et Demotte, mais que reste-t-il alors aux autres ? Même profil pour le Mouvement réformateur qui cherche des universitaires bilingues, de préférence quadrilingues, intéressés par l’actualité politique et économique. Qui peut prétendre à ce poste sinon Reynders et Demotte ! Who else ?
Les autres offres d’emploi dans « Références » sont aussi décourageantes. Il faut déjà faire un petit effort pour traduire « store manager » simplement en « patron du magasin. » Mais, allez comprendre ce « people-oriented » recherché par une société de Hesbaye ? Et le « plant manager » demandé par une firme de Manage. Un jardinier ? Non, un directeur de site industriel alimentaire, semble-t-il. Ne laissez pas tomber les bras ! Au milieu de ce charabia, j’ai trouvé une annonce si fraîche que j’ai vérifié la date du journal. Un serrurier engage un apprenti « habile, honnête, distingué, ponctuel et courageux ». Ah ! En voilà enfin qui ouvre la porte à la Wallonie de demain.

Alain Berenboom
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Mes Mais 68

Mai 68, parlons-en. J’ai le souvenir d’un rêve, d’une folle sarabande.
Je ne parle pas des barricades ni des pavés. Ni des meetings enflammés ni des nuits de fête et de la baise à gogo. Tout ça, c’était pas pour moi. J’en avais rien à cirer, moi, de ces étudiants, de ces fils et de ces filles à papa, qui s’habillaient en prolos pour aller casser la gueule des flics (tiens, de vrais prolos, ceux-là !) au nom du peuple ou de je ne sais plus très bien quoi.
Rien à faire non plus de tous ces travailleurs qui avaient trouvé l’occasion de faire repos général, machines en panne pour revendiquer l’impossible. Juste pour le plaisir de faire chier. Sans savoir qu’ils vivaient le bref instant d’une époque sans chômage.
Mai 68, pour moi, c’est le boulot. Le moment où j’ai travaillé avec le plus de liberté, de plaisir et d’efficacité. Pendant que tous les autres jouaient à on arrête tout et on ne recommence plus, moi je suais comme un malade, parcourant des centaines de kilomètres, portant des colis sur mon dos pire qu’un baudet. La semaine de quatre-vingts heures au moins. Je me suis même demandé si je n’étais pas le seul, le dernier travailleur de France. Dites donc, si j’en avais parlé à un journaliste, peut-être que de Gaulle il m’aurait donné la médaille ? Et ils m’auraient exhibé à la télé comme un modèle face à tous ces paresseux, tous ces glandeurs.
Evidemment, j’aurais été mal si Mon général, il m’avait demandé, en m’épinglant la médaille sur ma poitrine, dites donc, mon ami, quel est votre secret ? Quel est ce boulot que vous aimez tant ? Difficile de répondre : moi, mon général ? Eh bien, je joue du surin pendant que les autres se dorent au soleil du printemps.
Au fond, je me fais peut-être des idées. Général, c’est un peu le même métier que moi mais en plus grand.
Oui, pour nous tueurs, mai 68, ç’a été le temps béni. Sans un flic à l’horizon. Tous occupés à taper sur ceux qui ne travaillaient pas. Pas de risque. Pas de danger. Personne pour vous dénoncer. Plus d’essence pour vous poursuivre. Pas de voisins. Z’étaient en ballade à la recherche de l’aventure, alors que l’aventure se passait sur leur palier pendant qu’ils étaient absents. Ah ! Les cons !
Qu’est-ce que j’ai pu en tuer en mai 68… Mon meilleur tableau de chasse. Trois veuves, un colonel, deux banquiers, un buraliste, un marchand de vin. Et une podologue. Avec celle-là, tiens, j’ai eu des scrupules. Peut-on étrangler une podologue sans savoir ce qu’elle fait dans la vie ? Remarquez, je le lui ai demandé. Podologue, c’est quoi ? Un peu trop tard peut-être. Je serrais trop fort, je crois. Je contrôlais mal ma force à l’époque.
En sortant de la dame, j’ai vu à la télé une grande manifestation. Pour le retour du général de Gaulle. Contre la chienlit. Moi, je l’aimais bien mongénéral. Alors, j’y suis allé et j’ai chanté comme les autres la Marseillaise. A côté de moi, se trouvait un ministre. Blanc comme un rat, l’air perdu et malheureux. Depuis trois semaines, je me terre dans ma cave, il m’a avoué. C’est la première fois que je pointe le nez dehors. Il n’y a pas de danger, pensez-vous ? Je l’ai rassuré comme j’ai pu. Si quelqu’un s’attaque à vous, faites-moi confiance, il trouvera à qui parler ! Riez pas, j’étais drôlement musclé. Et le type me faisait vraiment de la peine. La manif a été un succès. On braillait à tue-tête, on se donnait le bras. On réoccupait le pavé. Et on a fini la journée dans un bistrot. C’est lui qui a insisté, remarquez. Moi, ça me gênait un peu. Vu que les petites affaires de la podologue étaient dans la poche de mon imperméable et que j’avais pas envie qu’elles glissent sur la table. Bref, de fil en aiguille, on est devenu les meilleurs potes du monde. Comme je lui ai raconté que j’étais sans boulot (j’allais pas lui avouer…), il m’a fait entrer dans son cabinet comme chauffeur et aux élections, je suis devenu son suppléant. T’es le seul à qui je peux faire confiance, il a insisté car j’étais un peu réticent à entrer dans ce monde-là. Ce qui m’a décidé c’est quand il a ajouté : t’es le seul qui veut pas me faire la peau. Mes amis politiques, ils sont tous prêts à me planter un couteau dans le dos.
J’ai attendu deux ans avant de le suicider. Et de le remplacer. Il m’a fallu encore un peu de temps pour devenir ministre. Maintenant, je peux voler et tuer tranquille. Et pourtant, vous savez quoi ? Je donnerais tous les ors de la république pour retrouver la liberté de mes journées de mai 68. Bon, je vous laisse, j’ai un discours, là. L’inauguration d’une prison, je crois.

Alain Berenboom

LA RENTREE 2008

Rencontres à la rentrée avec Alain BERENBOOM à propos de son roman « PERILS EN CE ROYAUME »:

    _ lundi 8 septembre à 20 h. à la la Bibliothèque de Rhode Saint Genèse
    _ jeudi 18 septembre à 17 h. à la Librairie Pax à Liège
    _ jeudi 18 septembre à 20 h. au Foyer culturel juif de Liège
    _ jeudi 25 septembre de 10 h. à 16 h. Journée polar à l’Académie de Police de Jurbise: auteurs de polars v. flics…
    _ jeudi 25 septembre à 20 h. Soirée à la Galerie Rousseleau à Bruxelles en compagnie de Alain Fralon et de l’abbé Vanderbiest
    _ week end Polar organisé par la Bibliothèque de Saillans les 11 et 12 octobre
    _ mercredi 5 novembre: entretien au FRAM à Liège avec J. Paque
    _ jeudi 13 novembre à la Maison de la Culture de Tournai