LA SOLITUDE DU CHRONIQUEUR DE FOND

Cette semaine, côté chroniqueur, ça ne rime pas mais ça rame. J’ai tourné ma plume sept fois autour de la page vierge sans parvenir à la poser. Fumée noire ou fumée blanche ? Chaque jour, chaque heure, l’oreille collée au transistor, j’ai tenté de suivre l’humeur sans cesse changeante des négociateurs octogonaux, incapable de subodorer l’issue du conclave. Elio 1er sera-t-il sacré pape ou renvoyé dans son archevêché perdu ? Est-ce un signe ? Cette semaine sort justement sur les écrans « Habemus papam » le nouveau film de Nanni Moretti. Mais, peut-on se fier à la fiction ?

La météo des discussions semble aussi variable et imprévisible que les scores des Diables rouges. « On a fait quelques progrès mais faut encore beaucoup travailler » déclare Georges Leekens. De quoi parle-t-il ?

Les visages des participants ne nous éclairent pas davantage. On a beau les guetter. Essayer de gratter le petit sourire figé qu’ils tirent pour la photo, bonne chance pour deviner le nom de  celui qui décrochera la floche à l’instant où s’arrêtera le carrousel. Elio Di Rupo ? Charles Michel ? Wouter Beke ? Ou le Formateur devra-t-il céder la main au Dépeceur, Bart De Wever ?

Devant les caméras, le plus expressif est Jean-Michel Javaux. Mais, est-ce la note du Formatorissimo qui lui donne cet air farouchement grognon ou la publication d’une vieille dépêche de l’ambassadeur des Etats-Unis, racontant leur entretien, soigneusement re-mitonnée dans les arrières-cuisines du P.T.B. avec l’aide, pour arroser le tout de vinaigre, du maître queux Josy Dubié ?

Quant au sourire de Joëlle Milquet, on l’attribuera à l’haleine radicale du sanglier bastognard, enfin rentré dans l’enclos, plutôt qu’à la scission de B.H.V.

Depuis le temps qu’on les paye pour nous gouverner, on est tenté de dire aux principaux dirigeants du pays, « Assez ! Vous êtes usés ! Laissez la place à une nouvelle génération, plus fraîche, plus souple, plus imaginative, bande de vieux croûtons ! »

Sauf que cette nouvelle génération, justement, c’est eux ! Charles Michel a trente-six ans comme Caroline Genez et Wouter Beke trente-sept. Pourtant, on a l’impression qu’ils sont déjà blanchis sous le harnais. Amortis. Vidés. Au point que la présidente du sp.a est à la veille de prendre sa pré-pré-retraite, suivant de peu l’égérie du C.D.&V., Inge Vervotte (trente-cinq ans). Qui nous a fabriqué ces baby politiques plus fragiles que le Val Saint Lambert ?

A tous ces jeunes vieux, qui ont peur de leur ombre, on a envie de rappeler la devise d’un premier ministre socialiste de jadis, Achille Van Acker : « J’agis d’abord, je réfléchis ensuite ! »

 

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RENTREE SCOLAIRE OU RENTREE POLAIRE ?

Il y a quelque chose de rassurant dans le retour des embouteillages du matin (et du midi et du soir) : l’impression que la vie continue comme avant, paisible et immobile, que tout le monde ou presque peut toujours se payer une auto, un chapeau et le carburant, et que tout roule : feux rouges, commerce, flics, pub, internet et enseignes au néon. Bref, que la crise n’existe pas. On ne tire pas dans les rues, on ne brûle pas les bagnoles. On a l’eau, le gaz et l’électricité, sans coupures, les écoles sont ouvertes. Tout va bien. Dormez ou plutôt roulez, braves gens. La crise ? Quelle crise ?

A se demander même si les énormes chantiers qui ont bloqué une grande partie des routes et des villes durant l’été n’ont pas été décidés juste pour éviter aux citoyens le vertige, la peur du vide devant une trop grande fluidité. On grogne quand la circulation est à l’arrêt mais si l’on se retrouvait seul devant un grand boulevard entièrement dégagé, quelle panique à bord !

Dans la file qui avance au pas, on s’accroche à son volant en se disant, ouf ! On n’est ni à Tripoli, ni à Damas ou à Athènes, ni à Fukushima ou aux Etats-Unis étouffant dans les bras de la fougueuse Irène. Même pas à Londres qui s’enflamme ni dans l’Espagne qui se fissure. Tout juste à Bruxelles, au milieu d’un gigantesque embouteillage. Quelle chance on a !

Mais tout ça n’est qu’apparence. On a beau prendre des précautions pour masquer la réalité et farder les comédiens qui nous dirigent. Insensiblement, le changement s’annonce au bout de la rue. D’abord, on va finir par nous annoncer que tout a un terme, même les affaires courantes, puis l’indexation automatique des salaires, le chômage pépère, les francophones campant en citadelle dans la périphérie et la vie de cocagne.

Tout s’en va. En quelques jours, on a perdu Kadhafi et Joëlle Milquet. C’est un signe. Remarquez que, depuis un an, on a gagné de nouveaux chefs, Bart De Wever, Wouter Beke et Charles Michel. Du sang neuf pour les défis qui nous attendent ?

Avec Bart De Wever, la Flandre n’a plus rien à craindre des centrales nucléaires pourries de l’empire levant : si le nuage atomique se profile à l’horizon, d’un coup de gueule, il le repoussera sur la Wallonie. Wouter Beke devra apprendre de ses aînés l’art magique de la contorsion s’il veut figurer parmi les artistes du Cirque Belgique.

Quant à Charles Michel, il a attendu que sa barbe soit aussi longue que celle de Paul Magnette pour passer aux choses sérieuses : négocier avec Didier Reynders et Olivier Maingain.

Je me demande si le sort de Kadhafi n’est pas plus enviable. Et même celui de Joëlle Milquet…

 

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DE LA NOTE ET AUTRES LECTURES D’ETE

Depuis quelque temps, la mode est d’oublier la canicule en plongeant dans les eaux glacées de Scandinavie. Glacées et glauques. Henning Mankell et Stieg Larsson (la trilogie du Millenium), pour une fois vedettes méritées du box office, nous ont convaincus que le modèle suédois, si souvent mis en vitrine par nos politiciens, cachait dans son arrière-cour néo-fascistes en liberté, égoïsme d’une société qui a peur de perdre ses acquis et mépris des étrangers. Ca vous rappelle quelque chose ?
Ajoutez-y le Norvégien Gunnar Staalesen (éd. Gaïa), dont le dernier opus, « L’écriture sur le mur » est excellent. Une radiographie frissonnante de la « bonne société » de Bergen (rien à voir avec Mons, n’en déplaise aux néerlandophones).
A ce propos, certains Belges auront peut-être la curiosité de feuilleter le nouveau thriller hennuyer, intitulé sobrement « La note » d’Elio Di Rupo. Hélas, si les éléments de l’intrigue ont été habilement semés tout au long des pages, le dénouement est tout à fait improbable. Certes, le héros a emprunté quelques éléments de la panoplie de Sherlock Holmès : il lit dans la boue laissée par ses prédécesseurs et pratique l’art du déguisement. Mais le méchant n’est pas puni et le crime reste inexpliqué. Croisons les doigts pour que l’auteur ne finisse pas avec son plus redoutable ennemi, au fond de la cascade de Coo, tels Holmès et Moriarty disparaissant ensemble dans le gouffre de Reichenbach.
Je me demande s’il ne vaut pas mieux laisser La Note en attendant ses redoutables clones, La Note-le retour, et les Enfants de la Note. Plutôt emporter Le Droit au Retour du romancier hollandais Léon De Winter (éd. du Seuil).
Ecrit avec la verve et le rythme d’un écrivain américain, Le Droit au Retour commence dans un futur plus ou moins proche dans un Israël réduit à une peau de chagrin. Un personnage, autrefois un brillant prof d’université revit sa vie défaite depuis que son fils a été enlevé une vingtaine d’années plus tôt alors qu’il vivait dans la banlieue d’une ville américaine.
Rien de sinistre pourtant dans ce récit mais un portrait décapant, ironique et profond de notre époque.
Curieuse coïncidence : dans Arrêtez-moi là ! de Ian Levinson – et non d’Elio Di Rupo- (éd. Liana Levi), il est aussi question d’enlèvement d’enfant. C’est même ce qui conduit le narrateur, un chauffeur de taxi sympa et miteux, en prison. C’est lui qu’on soupçonne du crime.
Le récit de cette erreur judiciaire devrait ravir tous ceux que le feuilleton DSK commence à fatiguer. Rodomontades du procureur, avocat acharné, etc. L’humour en plus.
L’humour, c’est ce qui manque le plus depuis un an dans la saga belgica, qu’on la lise en latin ou en esperanto.

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KRIS CHEZ SAINT OBAMA

Ah ! La tête de ce pauvre Kris Peeters ! Il fait vraiment pitié.
Tout avait pourtant bien commencé. Dès qu’il a appris qu’une mission économique belge se rendait à Washington, notre ministre-président s’est empressé d’annoncer qu’il serait du voyage. Bouleversant son agenda. Annulant sa participation à la foire aux boudins-compote de Puurs, déplaçant sa conférence sur la suppression des impôts pour les patrons flamands après l’indépendance de sa région (un projet d’inspiration grecque). Et il est parti aux Etats-Unis, aussi ému que les immigrants dans le film de Charlot lorsque, du pont de leur bateau, ils aperçoivent pour la première fois la statue de la Liberté.
Le but d Kris n’était évidemment pas de jouer le faire-valoir du prins Filip. Non, Kris avait un rêve, être le premier dirigeant flamand à serrer la pince du président Obama, comme il avait serré celle de Saint Nicolas quand il était petit. La photo immortaliserait pour l’Histoire – et les électeurs de Puurs – le face-à-face entre les deux hommes politiques les plus puissants de la terre.
Mais sur place, quelle douche froide ! Aux yeux des Yankees, le président de la Flandre n’a que rang de gouverneur, ce qui veut dire à peu près technicien de surface.
Les collaborateurs de notre pauvre président ont eu beau expliquer que, chez nous, personne n’est plus puissant que Lui. Même pas le prins Filip. Rien à faire. Pour les Américains, le protocole est aussi sacré et intouchable que la sécurité.
Voilà donc ce pauvre Kris, obligé de poser tout seul sur la photo devant la Maison Blanche comme n’importe quel touriste de l’Iowa avant de croquer son hamburger dans son coin. Pourvu qu’il n’ait pas abusé des frites et des friandises, sinon, au retour, ses électeurs risquent de le confondre avec Bart De Wever.
Mais j’y pense, voilà peut-être une confusion qui lui convient ?
Depuis que son ancien mentor en politique, Yves Leterme, « Mr Cinq Minutes de Courage Politique », a changé de répertoire et abandonné ses slogans nationalistes et anti francophones pour devenir le Flamand préféré du sud du pays, Kris Peeters s’est avisé qu’il pouvait récupérer les restes. Il n’y a pas de petites économies, comme disait toujours son papa. Au fond des armoires de son prédécesseur, il a retrouvé quelques bouts de discours inédits, des formules qui n’avaient pas encore servi et qu’il a un peu rafraîchis. Et hop ! Le tour était joué !
Mais lorsqu’il sera nommé premier ministre, ne vous en faites pas. Il oubliera lui aussi les bêtes phrases qui font 800.000 voix, il deviendra à son tour le chouchou des Wallons. Et il ira enfin chercher son petit cadeau au pied du trône du président Obama.

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MOUSETRAP

Dans une interview demeurée (tristement) célèbre et publié par le quotidien français Libération, Yves Leterme se demandait ce que les Belges avaient encore en commun ? « Le Roi, l’équipe de foot et certaines bières », répondait-il. C’était il y a tout juste cinq ans. Un siècle en politique belge.
Songez qu’à l’époque celui qui présidait alors le gouvernement flamand affirmait : « La nécessité d’avoir un gouvernement fédéral passe au second plan par rapport aux intérêts de la Flandre. » Et que Laurette Onkelinx le qualifiait d’« homme dangereux »
Les transferts de compétences et le règlement de l’abcès B.H.V. qu’il tenta en vain de négocier quand il fut désigné formateur par le roi en été 2007, avec Bart De Wever dans le rôle du souffleur de méchantes répliques, furent considérés par les francophones comme des provocations, une violation du fragile équilibre communautaire.
Il faut dire qu’il avait eu la bonne idée de préparer psychologiquement les négociateurs francophones en affirmant (toujours dans cette interview à Libération) : « apparemment les francophones ne sont pas en état intellectuel d’apprendre le néerlandais ».
L’épisode fameux et ridicule où le premier ministre se mit à chanter la Marseillaise devant les caméras de la R.T.B.F. quand un journaliste lui demanda s’il connaissait les paroles de la Brabançonne acheva de le discréditer aux yeux des francophones.
En cet été 2011, le public peut avoir l’impression que l’on joue depuis quatre ans la même pièce avec les mêmes acteurs qui prononcent les mêmes répliques et s’envoient les mêmes bons mots pour faire rire l’assistance. Mais l’apparence est trompeuse.
« Fin de règne au 16 rue de la loi » a bien des points communs avec le fameux « Mousetrap » d’Agatha Christie. Peut-être même que notre tragédie pourrait battre le record de longévité du drame policier de la grande écrivain britannique (qui est représenté sans interruption depuis près de septante ans dans le même théâtre).
Il y a bien des ressemblances entre les deux pièces : Mousetrap serait un titre parfait pour désigner le récit de la crise belgo-belge. Et le huis-clos dans lequel la reine du crime a situé son histoire (un château dans lequel se sont isolés le policier, la victime et les présumés assassins) ressemble de manière troublante au lieu dans lequel se déchirent nos protagonistes.
Mais, si, quatre ans après les débuts sur la scène fédérale d’Yves Leterme, la victime du crime est restée la même (la Belgique qui se vide de son sang au fond du décor), l’intrigue a considérablement changé et surtout le caractère des principaux personnages.
Ainsi, Leterme, soupçonné hier d’être l’assassin, est devenu le héros des spectateurs francophones. Le garant de l’unité nationale. Le sauveur du gouvernement fédéral, depuis qu’il a oublié ses anciennes répliques qui fâchaient tant. Notre Hercule Poirot.
En revanche, aux yeux des spectateurs flamands, dont il était à l’époque la star, le grand acteur d’Ypres a perdu beaucoup de son lustre. Son souffleur a quitté l’ombre de la scène pour s’emparer de la tête de l’affiche et Leterme, dont le nom brillait jadis en lettres multicolores au fronton du théâtre, ne joue plus qu’un second rôle, celui de la doublure.
Tout ceci explique la difficulté de représenter désormais en Belgique le même spectacle devant des spectateurs venus de différentes régions du pays. Les uns et les autres n’applaudissent plus aux mêmes répliques et ils ne sifflent pas les mêmes acteurs. Quant à l’occupant de la loge royale, on peut comprendre qu’il soit un peu perdu devant les réactions contradictoires de la salle et qu’il n’ose plus rire à aucune réplique ni applaudir aucun acteur.
Mais les choses vont peut-être changer grâce aux vacances. Au théâtre, on affichera relâche. Il était temps que les spectateurs et surtout les auteurs et les acteurs respirent un peu d’air frais. Avec un peu de chance, ils vont aller se détendre aux mêmes endroits. Vibrer aux mêmes événements, aux péripéties du tour de France où la langue des coureurs n’aura plus d’importance quand retentira l’hymne national. Tom Boonen en vert et Philippe Gibert en maillot tricolore sont des coureurs belges.
Mais surtout, nos compatriotes liront sur la plage le même polar de l’été, un thriller passionnant, bien plus fort et plus meurtrier que ceux d’Agatha Christie, La Note d’Elio Di Ripo…

SMS ET PLUS SI AFFINITES

Depuis un an qu’ils ne nous disent plus rien, on se demandait vraiment à quoi pensent tous ces politiciens qui ne nous gouvernent pas ?
La réponse est venue de notre dernier leader bien-aimé-respecté. Ainsi donc, quand Yves Leterme pense, ce n’est ni à BHV, ni au remboursement de la dette, ni à l’avenir du Standard, même pas à la guerre qu’il mène en Afghanistan et en Lybie. Non, quand il pense, c’est à ça à qu’il pense. Eh bien…
On ne le voyait pas comme ça notre brave notaire social-chrétien. Dans la peau de D.S.K. Dites donc…
Quelqu’un a-t-il songé à enquêter auprès des femmes à journée polonaises qui, le soir, s’attardent dans les bureaux du 16 rue de la loi ?
Puisqu’une certaine presse a décidé que la vie privée torride de Yves Leterme méritait la « une » des journaux, autant aller jusqu’au bout des révélations. Déballons tout ! Pendant douze mois, les Belges ont crié : on veut un gouvernement ! En vain. Alors, changeons de slogan : ce qu’on veut, c’est un gouvernement seXuel ! Ce sera peut-être plus efficace.
Si, contrairement à l’image qu’ils affichent, tous ces êtres lointains qui se battent pour nous diriger sont au moins aussi brûlants que notre expéditeur des affaires courantes, on va avoir un gouvernement vite fait.
D’autres révélations ?
Ainsi, ce S.M.S. envoyé par un certain Bart D. à Oliver M. : « Mon petit francolâtre adoré, tu sais où j’aimerais mettre ta proposition d’élargir Bruxelles ? Réponds-moi viiiite ! »
Ou celui de ce même Olivier M. à un nommé Charles M. : « Ainsi, tu veux me quitter pour plus fort, plus puissant, plus borderline que moi ? Et tu t’imagines qu’il est prêt à te céder ? Pauvre naïf ! Si tu lisais le SMS qu’il m’a envoyé… »
Et dans la foulée ce message de Charles M. à Bart D. : « Mon lutteur chéri de la foire du midi, ne crois pas un mot de cette langue vipérine d’Olivier. C’est rien qu’un jaloux. Il sait qu’avec le régime de facilités que tu vas m’accorder, tu pourras tout avoir de moi. Tout ! »
Un certain Elio s’y est mis à son tour. Toujours à destination de Bart W., décidément le chéri de ces dames : « Ma mouette de la Vlaamse kust, j’ai appris qu’un tas de petits marquis tournent autour de toi comme des mouches folles. Méfie-toi de leurs faux serments ! Je suis en train de te fignoler une belle lettre d’amour, je suis sûr qu’elle te fera rougir autant que moi ! »
Faut-il s’étonner de ce tourbillon d’amour alors que notre vie politique récente a été rythmée par des mariages – des mariages ratés : la N.V.A. avec le C.D.&V., le S.P.a. avec Spirit, le M.C.C. avec le F.D.F. ? On comprend que certains préfèrent essayer les unions clandestines…

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MAUVAISE GRECE

Un amphithéâtre qui contemple une tragédie. La Grèce coule à pic dans le bleu intense de la Méditerranée. C’est notre maison, notre famille, à nous Européens. Pas de démocratie sans Périclès. Grâce à lui, eurêka ! On a pu élire Bart De Wever, Charles Michel ou Michel Daerden ! Et proclamer que le peuple a toujours raison ! Une idée née au cinquième siècle avant J.C. et qui percute le XXIème siècle ! Encore plus fort que l’effet papillon !
Et comment oublier que la philosophie de ce côté-ci de la planète est née des penseurs grecs, l’écriture de ses écrivains et poètes. Et les mathématiques et l’astronomie ?
Quelles que soient les causes de ses déboires, nous avons une dette immense à l’égard de la Grèce. Or, les dirigeants européens et particulièrement les autorités de l’Union donnent une fois encore l’impression en pleine crise de déserter en rase campagne. Aussi, permettez-moi de formuler quelques suggestions.
D’abord, déclarons le droit d’auteur des créateurs grecs illimité dans le temps. Permettant aux descendants de Platon, Sophocle, Homère, Euripide et autres Héraclite de percevoir immédiatement (et même rétroactivement) des droits sur tous ceux qui ont pillé impunément leurs œuvres depuis une vingtaine de siècles. Ajoutons-y des royalties à charge des producteurs de péplums italiens, hollywoodiens ou même japonais qui depuis les débuts du cinéma n’ont pas cessé de décliner l’Iliade, l’Odyssée et toutes les autres magnifiques légendes des conteurs grecs. Allez, à la caisse !
Quant aux statues ou autres sculptures et merveilles taillées jadis dans la pierre et qui ont été emportées par les Anglais, les Français ou les Allemands et que leurs musées refusent de restituer, qu’elle soient soumises à un loyer payé à l’état grec. Messieurs les Anglais, payez les premiers  si vous voulez conserver les fresques du Parthénon.
Et si tout ça ne suffit pas à regonfler les bourses grecques, reste alors à l’Europe de donner un coup de main. Un peu d’imagination que diable ! Tenez, on pourrait par exemple décider d’un troisième siège du Parlement européen à Athènes. Quel symbole ! Et pourquoi pas ? Les parlementaires se promènent déjà de Bruxelles à Strasbourg en passant de temps en temps par Luxembourg. Ce n’est pas une implantation supplémentaire qui dérangerait ces messieurs-dames ? On en profiterait pour construire un somptueux bâtiment où les architectes contemporains se mesureraient aux génies de jadis. Et une ligne de chemin de fer à grande vitesse pour relier toutes ces capitales. Relançant ainsi par de grands travaux, l’économie du pays. Soyons sûrs que les parlementaires européens iront avec plaisir se faire voir chez les Grecs !
Réveillez-vous, Mr Van Rompuy !

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LA BELGIQUE A L’INDEX

N’ayant pas d’autres chats à fouetter, la Commission européenne s’est avisée que notre système d’indexation des salaires devrait être réformé. Il paraît que les (maigres) augmentations de salaires résultant de la hausse de l’indice doivent davantage refléter les développements de la productivité du travail et de la compétitivité (je cite le communiqué glorieusement anonyme de la commission car quel fonctionnaire oserait signer ce charabia et puis faire face à sa petite famille en rentrant du bureau ?)
Traduit en langue belge, cela signifie : si votre entreprise ne fait pas de plantureux bénéfices et qu’en plus vous ne vous défoncez pas pour que votre patron s’offre de super bonus en fin d’année, oubliez que le prix du sucre, des pâtes et du pain a encore augmenté. Votre salaire est bloqué jusqu’à ce que les Chinois, dans un grand geste de bonté, décident de se retirer du marché et de ne plus envoyer leurs saloperies à prix bridés dans nos grandes surfaces.
Les Chinois ? Oui. C’est la faute aux Chinois si nous vous conseillons de couper les salaires de vos travailleurs, affirme la Commission. Tout ça, précise le technocrate letton ou finnois de service vient de ce que « la Belgique est spécialisée dans les produits à faible contenu technologique, soumis à une forte concurrence des pays à bas salaires. »
Faible contenu technologique, kèzaco ? Ca veut dire qu’on fait le zouave ? Et la Wallonie et son plan Marshall, dédié aux « pôles de compétitivité », à la recherche, aux nouvelles « technologies de l’environnement » ? Et la Flandre, ses start-up et sa Sillicone Valley, c’est aussi faire le zouave ? Et nos footballeurs que le monde nous envie ? Et le Standard qu’on s’arrache à coups de millions ? Et nos créateurs qui s’illustrent partout dans le monde ? Les auteurs de Loft qui réalisent un remake à Hollywood, Luc Taymans à la Biennale de Venise, Weyergans à l’Académie française, les frères Dardenne, Jaco Van Dormael, Marion Hansel, Cécile de France ou Benoit Poelvoorde, nos créateurs de mode, nos chorégraphes appelés du monde entier, tous ces artistes sont-ils aussi « soumis à la forte concurrence des bas salaires » ? Et c’est pour ça que les salaires de nos travailleurs doivent être bloqués ? Et l’index gelé ?
Vous savez où vous pouvez vous le mettre votre index ? Sur votre tempe et puis tourner dans un sens puis dans l’autre.
Pendant que la Grèce, l’Espagne, l’Irlande et le Portugal s’enfonçaient dans la mouise, que faisait l’Europe ? Quelles mesures a-t-elle prises pour prévenir ces crises, pour consolider l’euro, pour sauver l’économie de ses états membres ? Maintenant que la Belgique est donnée en exemple pour sa croissance, ces mêmes technocrates vont nous expliquer pourquoi nos travailleurs doivent se couper les vivres ?
Ce n’est pas à l’index qu’on pense, mais à un autre doigt, le majeur.

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SANS VOIX

Semaine étrange. Semaine des sans voix.
D’abord, il y a ceux qui auraient mieux fait de la fermer : les autorités allemandes qui s’étaient empressées, face à une épidémie bactérienne, de dénoncer le terrible concombre d’Espagne. Le concombre qui tue. Avant de faire marche arrière, la queue basse.
Il y a ensuite Celui dont le silence tétanise tout un pays. Le formateur (de quoi déjà ?) obligé de garder bouche cousue pendant une semaine. Une semaine ? On avait l’impression que Elio et ses compères la fermaient depuis un an.
Une autre voix s’est tue cette semaine, définitivement, hélas. Celle de Ricet Barrier, délicieux fantaisiste de la race des Bobby Lapointe, qui avait notamment chanté « La voix d’Ella. »
Il y a aussi ceux qui l’avaient vraiment trop ouverte : Berlusconi, renvoyé dans les cordes (vocales). Le bavard enfin confronté à son propre vide. Lèvres ou le néant. Emportant dans la tourmente, son mauvais ange, le patron de la Ligue du Nord, Umberto Bossi, sorte de cousin émacié de De Wever, côté pâtes.
Tiens ? En voilà un justement qui a profité du silence général. Proférant à haute voix des réflexions étranges. Si la Belgique tient debout, a expliqué le président de la N-VA, c’est à cause des Flamands bilingues. Comme son objectif avoué est la disparition du pays, doit-on comprendre qu’il va désormais s’en prendre aux Flamands capables de s’exprimer dans la langue de Pierre Mertens ? Une catégorie d’hommes cultivés dont il est un parfait représentant… Preuve que, décidément, cet homme ne s’aime pas.
Pendant ce temps, on a entendu des voix qui auraient mieux fait de s’abstenir : celles des membres de la F.I.F.A, données les yeux fermés à leur président sortant pour assurer sa réélection. M. Blatter, un vrai sportif, qui avait réussi à éliminer un à un ses adversaires pour se retrouver tout seul en finale, laissant l’arbitre bouche bée. On ne touche pas à la voix de son maître. En l’occurrence, le silence est d’or.
Face à tous ces professionnels de la parole, exceptionnellement silencieux, ce sont les citoyens, habituellement muets, qui ont pris le relais. Le mouvement initié par les foules arabes il y a quelques semaines s’est étendu comme une traînée de poudre à l’autre côté de la Méditerranée, en Espagne, en Grèce, suscitant même quelques échos chez nous. Mai a toujours été le mois des indignés, le temps du ras-le-bol. Les protestations de ceux qui crient à gorge déployée entraîneront-ils un grand nettoyage de printemps ? Il faudrait être capable de traduire la voix des sans voix.
Mais, si les hommes de pouvoir se taisent, est-ce pour écouter la rue ? Ou parce qu’ils sont définitivement aphones ?

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VACANCE-S

Radieux, lumineux. L’office météorologique le confirme : c’est un printemps exceptionnel; pour une fois, le communiqué est clair, compréhensible et ne semble pas traduit directement du coréen par une famille de météorologues recomposée en Belgique depuis peu.
Une atmosphère de vacances baigne les villes, les places et même les bureaux. Terrasses noires de monde, vin pétillant, rires et surtout jupes réduites à leur plus simple expression et décolletés audacieux (pauvre DSK, privé du spectacle ! Ca aussi tu l’as raté, mon vieux !)
Attablé à une terrasse, je contemplais, béat, le ciel bleu d’une transparence irréelle lorsque mon compagnon de bistrot me fit remarquer un objet lumineux qui se dirigeait lentement dans notre direction.
« As-tu oublié que nous sommes en guerre ? » me fit-il remarquer.
Comme je le regardais ahuri, il ajouta :
« Nous pilonnons Tripoli. Pourquoi les Libyens ne bombarderaient-ils pas Bruxelles sud ? »
Je ricanai gentiment et levai mon verre de gueuze grenadine.
« Tu vas boire ça ? Malgré la poussière ? ajouta-t-il avec un regard inquiet.
– La poussière ?
– Ce n’est pas parce que les journaux ont d’autres chattes à fouetter que la centrale de Fukushima a arrêté comme par magie de rejeter sa fumée mortelle. Crois-tu que ses émanations repartent vers le Japon en voyant la tête des douaniers belges ? »
Je déposai mon verre et demandai précipitamment l’addition.
Peu à peu, le soleil aidant, je me laissai regagner par l’atmosphère de vacances. Tout le monde s’y est mis. Même les Grrrands du monde qui ont choisi Deauville pour faire trempette. Derrière leurs lunettes de soleil et leurs sourires désarmants, tous les malheurs du monde, les dizaines de conflits en cours, l’image de l’élimination de Ben Laden et celles des victimes de Mladic et de ses complices semblent refluer avec la marée, laissant une plage immaculée, sans même les traces d’un poisson mort (des centaines de travailleurs immigrés y ont veillé). Aussi immaculé que le communiqué final. Les crocs-en-jambes ne se font que dans l’ombre.
Pour parfaire le tableau, il y a même quelques grèves. Oh ! Des petites ! Insignifiantes ! Pas de quoi ennuyer le bon peuple (les TEC exceptionnellement ont roulé toute la semaine ; gagnés par la torpeur ambiante, leurs sympathiques chauffeurs ont oublié leur amusante habitude de prendre leurs passagers en otage). Juste pour nous rappeler le joli mois de mai.
Reste Elio Di Rupo, formateur farniente, qui reçoit, bronzé, pas trop loin de la piscine, tous ceux avec lesquels il bavarde depuis trois cent et des jours, à la recherche de sensations nouvelles face à la vacance du pouvoir.
Où l’on voit que la langue française est riche : avec s vacances signifie plaisir. Sans s, le vide.

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