ANGELA, FAIS-NOUS RÊVER !

Comment expliquer le désenchantement à l’annonce de la nomination d’Angela Merkel à la tête de l’Allemagne ? Il y a si peu d’années que le mur est tombé. A l’époque, nul n’aurait parié une choucroute sur les chances d’une femme au poste de chancelier, une non-héroïne venue d’Allemagne de l’est (qui n’a jamais bravé les Vopos pour venir goûter au shopping de la RFA). Aujourd’hui, personne ne soupçonne les partisans de madame Angela de sympathie pour les théories staliniennes ou les mouvements terroristes d’extrême gauche. Son parti représente plus les bons bourgeois que les gauchistes ou les féministes. On la voit mal à la tête d’une manifestation de Ni Putes, Ni Soumises. Quoique. Une surprise est toujours possible. Merkel, nouveau Jean XXIII de l’Europe ? Qui sait ? Allez, Angela, fais-nous rêver !
Ce ne sera pas facile. Faudrait d’abord qu’elle rompe avec la tradition un peu inquiétante de ses prédécesseurs féminins. Margaret Thatcher (la plus grande réussite de la femme en politique, hélas). Un cœur froid, qui a regardé, indifférente, mourir les grévistes de la faim irlandais et couler le mouvement syndical britannique. Indira Gândhi qui a failli tuer la démocratie indienne. Madame Bhutto, paralysée dans son palais, qui n’a rien pu faire pour que le Pakistan échappe aux poisons mêlés de l’armée et de l’islamisme politique ni à la corruption de ses proches. Oublions la pauvre Edith Cresson, roulée dans la farine par ses amis politiques, victime idéale de tous ceux qui détestent les femmes en politique ou la très conservatrice Tansu Ciller, éphémère chef du gouvernement turc, simple pion entre les mains de la nomenklura politico-militaire.
Faudrait ensuite qu’Angela se démarque de ses collègues masculins. Car, côté mâle, l’Europe affiche un beau trou noir. Incapables de proposer une vision mobilisatrice et même d’écrire une constitution qui parle aux citoyens, nos bonshommes, trop empêtrés dans la gestion alambiquée de leurs difficultés nationales, sont surtout soucieux de soigner leur image. Inutile de leur demander en plus de prendre la mesure du tsunami qui balaye notre pauvre continent.
Pour qu’Angela réussisse, il faut qu’elle nous fasse surmonter les peurs qui nous hantent, qui nous figent et nous empêchent de rêver ensemble: l’arrivée à l’ouest des gens de l’est, l’implantation au nord des peuples du sud. Le cœur du rêve, madame Angela, ressemble à la rose des vents. Si vous trouvez la boussole magique, vous nous aurez fait entrer dans un nouveau monde.

PS : Un auteur allemand excentrique, cela existe : Hans Werner Kettenbach, hilare et tragiquement drôle (« La Vengeance de David » et « Minnie. Une affaire classée » chez Bourgois).

Alain Berenboom

Paru dans LE SOIR